Voie médiane
D’emblée, Charles Pépin a annoncé la thèse de son livre : il a invité l’assistance à « tendre l’oreille vers le passé » pour que celui-ci nous éclaire quant à notre devenir. Quels succès, par exemple, serait-on en mesure de reproduire ? Quelles erreurs faudra-t-il apprendre à éviter ? À rebours de l’idéologie de rupture qui impose de faire table rase de son passé pour s’inventer, mais aussi des idéaux qui supposent que nous sommes déterminés par notre milieu social, nos origines, etc., Charles Pépin propose une voie médiane.
Passé réinventé
D’abord, notre passé que nous croyons transporter avec nous n’est bien souvent qu’une « reconstruction » (Marcel Proust, dans À la recherche du temps perdu, réinvente son passé en œuvre littéraire). Ce dont nous nous souvenons n’est pas toujours la réalité. Dans les années 1970, la psychologue américaine Elisabeth Loftus a popularisé le terme de « faux souvenirs », remettant en cause la fiabilité des témoins lors de procès (ceux-ci croyaient de bonne foi se souvenir de choses qui n’étaient pas arrivées).
De l’histoire
Si on ne peut pas changer le passé, on peut au moins l’utiliser. Charles Pépin rappelle que le philosophe allemand Friedrich Nietzche répertorie trois sortes de passé. Il y a d’abord « l’histoire monumentale », celle qui est édifiante et qui rappelle qu’on a été grand : en réussissant un concours difficile par exemple, ou, à l’échelle d’un collectif, lors de grands événements qui forgent l’histoire d’une nation. Àu-delà de l’histoire monumentale, Nietzche évoque « l’histoire antiquaire », celle des racines et des traditions. Le passé n’est pas fait que de grands moments mais aussi de valeurs qui nous aident à grandir. Enfin, il y a « l’histoire critique ». Ou le fait de remettre en cause ce qui n’a pas fonctionné pour ne pas reproduire les mêmes erreurs. Pour Nietzche, c’est ce mélange d’histoire monumentale, d’histoire antiquaire et d’histoire critique qu’il faut utiliser pour avancer.
Récapitulation créatrice
Pour Charles Pépin, le passé n’est jamais une prison. On doit pouvoir s’en saisir (« le ressaisir », dit-il) pour aller de l’avant. La chanteuse Barbara a transformé ses traumatismes en œuvre. L’Aigle noir, qui évoque l’inceste qu’elle a subi, est une « récapitulation créatrice », selon le mot du philosophe français Henri Bergson. Le footballeur Zlatan Ibrahimovic, lui aussi, condense son passé en une figure sublime : lors d’un match PSG-Bastia, il marque d’une aile de pigeon retournée (du plat extérieur de la chaussure). Il y a toute l’histoire de Zlatan dans ce geste, faite de transgression et de travail acharné. Nos actes nous ressemblent, ils puisent dans notre histoire. Tout le passé est alors ramassé dans le
L’apport des neurosciences
Interroger le passé, ce n’est pas s’y plier. Bien sûr, les personnes victimes de guerres ou d’attentats revivent en permanence un traumatisme. Heureusement, les avancées des neurosciences permettent aujourd’hui d’obtenir de très bons résultats (en agissant par la suggestion sur l’amygdale du cerveau ou en prescrivant la prise de propanolol qui réduit les émotions associées à certains souvenirs.) Alors, que retenir de son passé pour construire l’avenir ? Charles Pépin propose de se souvenir des belles choses, de savoir d’où l’on vient mais aussi de se fabriquer de nouveaux souvenirs. Le passé est un pays où l’on voyage pour aller y puiser de quoi construire l’avenir. Plus on sait de quoi on hérite et mieux on pourra œuvrer. En thérapie, on raconte son passé, non pas pour le ressasser, mais au contraire pour changer. Bref, Charles Pépin, propose de « faire avec » son passé, dans un sens positif. Il s’agit d’avoir une bonne relation avec ce qui a été. Ni ressassement ni déni : c’est à une certaine forme d’accueil du passé que Charles Pépin nous invite.
Quand la salle échange avec Charles Pépin…
Un dirigeant a parlé de la façon dont son entreprise a révolutionné ses pratiques il y a quelques années. Pour Charles Pépin, si cette « révolution » a marché, c’est qu’elle était en germe, issue d’éléments semés au fur et à mesure des années. On dit toujours que Picasso fonctionnait par ruptures mais si on analyse son travail, on s’aperçoit que chaque style nouveau (période bleue, période rose, cubisme, etc.) est né de tâtonnements successifs.
Un autre dirigeant a souligné l’importance de la rupture avec son passé pour construire l’avenir : par exemple, quand on quitte ses parents pour aller étudier ailleurs. Charles Pépin concède qu’en effet, pour l’éthologue Boris Cyrulnik, la résilience a lieu à l’occasion d’un nouveau départ. Mais, souvent, cette résilience qui fait suite à un effondrement (ou à une simple rupture d’avec une situation antérieure) se nourrit, là aussi, d’éléments déjà présents.
Un troisième dirigeant rappelle l’importance du présent, incarné notamment par nos « premières fois ». Charles Pépin reconnaît l’existence de ces parenthèses miraculeuses (quand, lors d’une expérience inédite, on ressent le présent d’une manière particulièrement intense). Pour autant, il bat en brèche l’idée, en vogue, de « l’ici et maintenant » (popularisée par le bestseller d’Eckart Tolle, Le pouvoir du moment présent). Si on demeure dans l’ici et maintenant, on n’hérite de rien et on ne construit rien. Le présent n’offre qu’un espace limité. Alors que le passé, lui, peut aider à construire l’avenir…