La philosophie en a longuement débattu, le principal obstacle au changement réside dans la peur « d’un avenir différent ». À ce titre, tout laisserait à penser que nous entrons dans une longue ère d’immobilisme. Peur sociétale, instabilité politique, incertitudes géostratégiques, urgence des enjeux climatiques... La vision anxiogène s’invite dans tous les débats. Pour la première fois depuis la fin des années trente, le sentiment diffus que demain nous offrira un futur dégradé en regard de ce que nous vivons aujourd’hui domine, y compris dans la sphère économique et financière. La persistance de taux d’intérêts négatifs en est un exemple frappant. Que des créanciers institutionnels soient prêts à ne se voir rembourser que 99,5% de leurs obligations d’état suisses ou allemandes, en raison de leur aversion au risque, en dit long sur leur vision de l’avenir à 10 ans !
Pourquoi donc, dans ce contexte, prendre le risque de changer ?
Peut-être précisément parce qu’il y a « moins à perdre », puisque s’installe la perspective de lendemains difficiles si nous « laissons faire » !
Paradoxalement, le climat d’incertitude dans lequel nous vivons pourrait donc bien s’avérer être un catalyseur de transformation.
Mais reste à savoir de quel type de transformation... Parce qu’il ne s’agit plus seulement de changer pour aller plus vite ou plus fort, mais de changer pour durer, pour pérenniser son modèle et pour l’ancrer encore plus solidement dans ce nouveau monde en mutation.
Oui, le changement a changé. Dans ses motivations profondes. Dans sa mise en œuvre, aussi.
Les entreprises, comme les individus, doivent apprendre à agir différemment face à des exigences parfois difficilement compatibles : l’enjeu climatique et celui du devenir planétaire, la performance, sans laquelle aucune pérennité n’est possible, mais également et de façon tout aussi prégnante, le sens et la probité de l’action déployée, sans lesquels elles n’attirent plus les talents.
La prise en compte de ces enjeux multiples ne peut trouver qu’un unique point de convergence : celui de construire un modèle d’entreprise durable et plus pérenne, en appelant à la mobilisation de ressources humaines et financières au service de la vision de demain. La première conséquence de ce changement de paradigme réside dans un allongement de la durée de retour sur investissement.
Refuser d’intégrer cette réalité, c’est déjà s’inscrire en contradiction avec la nature même de cette transformation !
On sent tout aussi intuitivement que le changement mis en œuvre est perçu comme d’autant plus naturel et légitime qu’il permet de retrouver une forme de solidité et de « résilience originelle ». Il en va des entreprises et des marques qu’elles défendent comme de chacun d’entre nous : si le progrès nous a « affûtés » et incontestablement rendus plus performants, il nous a aussi exposés et rendus plus vulnérables face aux crises. Le digital en est un exemple frappant.
L’entreprise pérenne devra, tout comme l’individu, être en mesure de relever très rapidement le défi de la « navigation sans GPS », en cas de défaillance ou d’agression externe, dans un environnement économique et politique où l’incertitude (non quantifiable) a suppléé le risque (modélisable). Process, sources d’approvisionnements, systèmes d’information, bases de données clients, femmes et hommes-clés... se transformer dans le monde d’aujourd’hui, c’est savoir retrouver de l’agilité mais aussi se sécuriser.
Ce type de transformation, pour être conduit efficacement, implique de répondre à trois questions existentielles : « À quoi sert le produit ou le service élaboré et commercialisé par l’entreprise ? », « Comment est-il produit et commercialisé ? » et enfin « Pourquoi l’entreprise le produit et le commercialise-t-elle ? » Parce que le retour à cette raison d’être originelle est indispensable pour inscrire la transformation souhaitée dans un temps long.
« Deviens ce que tu es » disait Nietzsche. Autrement dit : « ose assumer tes singularités ». L’entreprise devra savoir dire ce qu’elle est, et l’incarner pleinement dans toutes les circonstances.
Changer... pour revenir vraiment à soi, finalement, en assumant de façon transparente le champ mais aussi les limites de ses savoir-faire : c’est là le premier gage de sincérité d’une offre, et donc de la perception de cette sincérité par le client...
Alignement de la communication externe avec les éléments de preuves délivrés, cohérence de la culture d’entreprise revendiquée et des usages internes, constance et destination des investissements de R&D ou encore transparence du mode de gouvernance : au-delà des due diligences habituelles, l’investisseur, au premier chef, devra lui aussi apprendre à modifier son regard sur l’entreprise.