Quel est le lien entre les dispositifs de soutien actuels et la problématique de l’actionnariat ?
Christophe Tournier : Dans un premier temps, une mobilisation bancaire sans précédent a, avec la garantie de l’état, « bridgé » les besoins de trésorerie à grande échelle.
Mais il ne fait guère de doutes qu’un pourcentage non négligeable de ces débiteurs ne sera pas en mesure de rembourser les fameux PGE à l’échéance. Cette incapacité ne constitue d’ailleurs pas un critère de sous-performance. Et d’autres besoins se feront probablement jour. En d’autres termes, il faudra de façon impérieuse et pour la première fois depuis fort longtemps, lever de vrais... fonds propres !
L’euro de trésorerie apporté en urgence au printemps 2020 (et qui trouvait sa contrepartie en dettes au passif du bilan) devra donc faire la place, de façon mécanique, à un euro de fonds propres (ou assimilés). Mais l’euro de fonds propres n’est pas seulement un euro de trésorerie. Parce qu’il trouve, lui, sa contrepartie passive en haut de bilan, il porte son droit de vote et influe directement sur la gouvernance. C’est donc à ce moment précis, c’est-à-dire d’ici quelques mois, qu’il ne faudra pas « se tromper d’actionnaire ».
Thierry Martin : Pour un dirigeant d’entreprise, la question – peut-être inédite en temps de crise – sera en effet moins de savoir s’il pourra trouver des investisseurs pour pérenniser son développement, que de savoir auprès de qui et sous quelle forme il pourra trouver un soutien.
En quoi le choix de cet actionnaire pourra-t-il obéir demain à une logique différente de ce que nous connaissions jusqu’alors ?
Thierry Martin : Le « monde d’après » dans lequel nous entrons nous pousse à nous adapter très rapidement à deux enjeux majeurs : une nouvelle phase de la mondialisation marquée par la fin du « multilatéralisme » et l’adaptation des modèles de croissance économique infinie à notre environnement naturel aux ressources limitées.
Ces deux enjeux – reconstruire des formes d’indépendance économique et réduire notre impact environnemental – ont en commun un paradoxe : ils appellent des réponses à court terme et qui s’inscrivent dans le temps long.
Les ressources financières doivent donc être adaptées à de tels challenges et au-delà des ressources à court-terme (nécessaires pour sécuriser l’entrée dans la zone de turbulence économique) c’est à une réflexion sur les ressources durables des entreprises que conduit la situation : quels fonds propres et quelle structure actionnariale pour les années futures ? La réponse à ces questions doit évoluer car les transformations à conduire appellent désormais un actionnariat apte au long terme et qui fonde ses espoirs de rentabilité d’abord sur une création de valeur économique et non plus sur la seule valeur financière, nourrie de baisses continues des taux d’intérêts et d’augmentations des leviers financiers.
Christophe Tournier : Les acteurs du capital-investissement proposent évidemment des réponses à ces questions. Mais vers quels acteurs et surtout vers quelle typologie d’actionnaires se tourner ?
Celui des fonds d’investissement/ asset managers, spécialistes des opérations de capital-transmission sur des horizons de 3 à 5 ans ? Ou celui de « sociétés d’investissement » qui soient capables de s’inscrire sur des durées longues, pour construire la rentabilité de leur placement ?
Se pencher sur l'atelier du monde et les thèses d'investissement qui le financent sera le point de passage obligé d'une refondation. Mais, pour demeurer rationnelle, celle-ci devra toutefois échapper à toutes formes de partis-pris idéologiques, et ne jamais se départir du fait qu’en amont de l'outil industriel, inévitablement consommateur et « transformateur » des ressources planétaires, il y a d’abord l'individu : le décideur qui le finance, le manager qui l'anime et le collaborateur qui en assure le fonctionnement productif. Et ce nouveau monde, c’est d’abord le leur.
À eux de commencer par faire le bon choix d’actionnaire.